Sa devise: « Sois l’adulte dont tu as eu besoin quand tu étais jeune. »
Âgée de 23 ans, Kharoll-Ann est non seulement une des plus jeunes personnes mises en lumière sur Portraits, mais également une des plus impressionnantes que j’ai eu la chance de rencontrer. Son parcours de vie, souvent parsemé d’embûches, est digne de l’existence d’un vieux sage. Si tout semble lui réussir, il va sans dire que c’est à grands coups de résilience et de détermination qu’elle fonce dans la vie.
Née à Montréal de parents immigrants, Kharoll-Ann est l’aînée d’une famille de cinq enfants. Si elle vient d’un milieu modeste, elle peut toutefois affirmer que ses parents ont toujours été là pour elle.
« Mes parents se sont séparés quand j’avais 14 ans. Ma mère est devenue monoparentale avec moi, mon frère et mes soeurs, mais mon père est toujours resté dans le portrait. Malgré les difficultés que mes parents vivaient; ma mère devant élever cinq enfants et mon père cumulant deux emplois, je ne les ai jamais entendus se plaindre ni s’effondrer. Ils se sont toujours tenus debout. »
Déjà toute jeune, Kharoll-Ann pleure beaucoup et ressent un mal de vivre lourd à porter. Victime d’intimidation à l’école, elle admet que ce sont les adultes dans sa vie qui l’ont aidée à garder sa flamme vive.
« Je ne m’entendais pas beaucoup avec les jeunes de mon âge, je préférais rester à l’écart. Les adultes s’intéressaient à ce que je disais, mais pas la plupart de mes comparses. J’ai eu la chance de passer au travers cette dure épreuve d’intimidation grâce à l’écoute et au soutien des adultes autour de moi, autant dans ma famille qu’à l’école. On me disait que j’avais le potentiel de faire de grandes choses et que j’allais pouvoir réussir à m’accomplir dans la vie. Je me suis accrochée à ça, j’avais hâte de devenir adulte. »
Si Kharoll-Ann a pu compter sur le soutien des adultes, certains d’entre eux ont fait preuve d’un important manque d’ouverture d’esprit.
« Quand j’ai consulté mon médecin de famille à l’âge de 12 ans pour ma détresse, ce dernier a dit que j’étais « trop jeune pour avoir de vrais problèmes ». C’est grave, très grave de sous-estimer la souffrance des jeunes. À 12 ans, j’avais déjà des pensées suicidaires. Or, à partir du moment où je me suis sentie écoutée, ces pensées ont disparu. Aujourd’hui, j’essaie d’écouter les gens parce que je me dis que juste l’écoute, c’est déjà beaucoup. On sous-estime le pouvoir de simplement écouter les gens, de reconnaître leurs émotions et leurs expériences comme étant valides. »
Durant cette même période, Kharoll-Ann entreprend ses études secondaires dans un programme d’éducation internationale. Elle doit alors faire du bénévolat, chose qu’elle continue toujours de faire aujourd’hui.
« Pour moi, faire du bénévolat, c’est une façon d’être redevable pour l’aide que j’ai eue. Je veux redonner à d’autres ce qu’on m’a donné. »
À l’école, Kharoll-Ann est une bonne étudiante. Malgré les embûches avec quelques compagnons de classe, elle s’accroche à son désir de devenir adulte. Tout déboule lorsqu’elle tombe amoureuse à 16 ans.
« J’ai fréquenté un garçon de l’âge de 16 à 20 ans. Vers la fin de cette histoire, je me suis mise à être super anxieuse et triste, je n’allais presque plus à l’école, je ne mangeais presque rien. J’attendais qu’il officialise notre couple; chose qui ne s’est jamais produite. Il disait des choses me montrant qu’il n’était pas fier de qui j’étais; il ne s’affichait pas avec moi. Il jugeait mon milieu familial, la situation sociale, professionnelle et économique de mes parents, mes origines… À 20 ans, j’ai compris que ça ne mènerait à rien tout ça, j’ai mis fin à la fréquentation parce que je jugeais que je méritais mieux que ça. Deux semaines plus tard, il tombait amoureux d’une autre. »
Durant son adolescence, Kharoll-Ann est suivie par divers professionnels. Au début de sa vie d’adulte, après consultations entre ses divers intervenants, un diagnostic tombe: elle est atteinte d’un trouble bipolaire.
« Je n’étais pas vraiment surprise du diagnostic parce que je savais que quelque chose clochait en moi depuis longtemps. J’ai beaucoup de trous de mémoire de cette période-là de ma vie tellement je n’allais pas bien. À un moment je me suis dit: j’ai deux choix : ou je laisse cette détresse-là me tuer ou je la canalise dans autre chose; ça a été les études et le travail. Ça a été ma manière de gérer ce trop-plein d’émotions. Aussi, j’ai beaucoup lu de témoignages de gens qui vivaient bien avec ce diagnostic, ça m’a beaucoup encouragée. »
Alors qu’elle va chercher de l’aide et du soutien à l’organisme Revivre, Kharoll-Ann entreprend par la suite un BAC en travail social à l’Université McGill.
Pourquoi aller étudier en anglais quand on est francophone?
« Parce que ça me faisait peur, justement. »
Kharoll-Ann est animée par la peur, c’est son essence, la tape dans le dos qui lui permet d’avancer.
« Je cherche toujours à me mettre dans des situations inconfortables, où j’ai peur, où je me sens comme un imposteur. Après, je le regrette, je deviens anxieuse et je me questionne sur le pourquoi j’ai fait ça. Ensuite, quand je réussis l’épreuve je suis fière de moi. Je ne veux pas vivre ma vie pour les autres, je ne veux pas avoir de regrets. Je veux vivre une vie à mon image. Je me fais le cadeau de vivre une vie qui m’allume, qui me rend heureuse et ça passe par relever des défis. »
Il y a chez Kharoll-Ann un vif désir de changer les choses et d’améliorer le sort de tous.
« Les gens n’ont pas besoin de faire des choses d’extraordinaires pour avoir un impact. Le simple fait de prendre le temps de comprendre et de ne pas juger est une grande réalisation en soi. Mes valeurs me viennent du fait d’avoir souffert. Je ne veux pas que les gens vivent ce que j’ai vécu. Aujourd’hui, je suis plus empathique à cause des épreuves passées; j’accepte les gens, peu importe leur différence et leur parcours de vie. »
En plus d’être animée par des valeurs de soutien, de partage et de respect, Kharoll-Ann s’intéresse à la sphère politique ainsi qu’à la cause féministe. Elle a en effet participé aux programmes Cité Elles MTL ainsi que Women in House de l’Université McGill.
En décembre 2015, la vie marque un point culminant dans le parcours professionnel de haroll-Ann. Alors qu’elle est déjà impliquée et socialement active dans le domaine de la santé mentale et qu’elle commence à faire sa marque en tant que blogueuse, rédactrice sur plusieurs tribunes ainsi que chroniqueuse à la radio, elle se voit sélectionnée en tant que conférencière pour TEDxQuébec. Son sujet: le rétablissement en santé mentale. Une consécration pour la jeune femme qui a pourtant hésité à se lancer, sentiment d’imposture oblige!
(Cliquez ici pour voir sa conférence TEDx)
« Au début je ne parlais pas beaucoup de mon diagnostic, c’est la conférence TED qui m’a amené à en parler. J’ai attendu d’avoir la force de le faire et j’ai eu tellement de soutien que je suis contente de l’avoir fait. J’ai un désir de sensibiliser et de conscientiser. Toutes mes entreprises sont animées par ça. »
À partir de cette conférence, tout a déboulé. Kharoll-Ann a commencé à s’impliquer pour l’organisme Jack.org qui vient en aide aux jeunes atteints de troubles de santé mentale. Elle siège sur le conseil d’administration de l’association Les Porte-voix du rétablissement en santé mentale. Elle est récipiendaire de plusieurs bourses, prix et distinctions, dont finaliste du concours Gens de coeur de Radio-Canada. Elle s’est mérité trois prix, soit celui du leadership jeunesse du Montreal community cares, le prix Jeune femme de mérite du Y des femmes de Montréal ainsi que le Prix humanitaire Terry Fox. Elle est aujourd’hui finaliste du concours Forces Avenir dont le ou la gagnant(e) sera dévoilé(e) en septembre.
Je rappelle qu’elle a 23 ans.
Pour parler de sa grande détermination, Kharoll-Ann explique:
« Le genre de cadeau que m’a apporté le fait d’avoir souffert très jeune est que j’ai appris rapidement ce que je voulais et ce que je ne voulais pas dans ma vie. Quand j’étais enfant, on me disait que j’allais pouvoir être ce que je voulais une fois adulte. M’accrocher au futur a fait en sorte que je suis vivante aujourd’hui. »
Si l’espoir a fait en sorte que Kharoll-Ann développe son impressionnante résilience et se montre si déterminée et impliquée aujourd’hui, j’ai envie de croire que l’espoir sauve le monde.
Ça donne envie de retrouver foi en l’humanité.
Crédits photos: Annie Murphy
Pour consulter le Facebook professionnel de Kharoll-Ann
Les Porte-voix du rétablissement